Gérard Dubois

 

 

Vendredi 18 mars 2011, un charmant atelier d’artiste, au bout d’une impasse proche de la porte d’Orléans, à Paris. Ancien conseiller du préfet de police de Paris, évincé pour s’être un peu trop intéressé à la vie privée de Nicolas Sarkozy, Gérard Dubois, 66 ans, nous accueille chez un proche, par mesure de sécurité. Un premier rendez-vous dans une grande brasserie du XVe, trois semaines plus tôt, avait été écourté. Un consommateur, manifestement très intéressé par notre conversation, était bizarrement venu se coller à nous, alors que l’établissement était quasiment vide. « Un type des services », avait assuré Dubois. Parole d’expert.

 

La rosette en évidence à la boutonnière, les cheveux plaqués en arrière, le sous-préfet Gérard Dubois va enfin pouvoir raconter son « exécution ». Avec, dans le rôle du bourreau, Nicolas Sarkozy. Il a apporté ses archives, dans lesquelles il fouille fébrilement. « J’ai servi de fusible, dit-il. Je suis un lampiste, un fonctionnaire sacrifié sur l’autel de la raison d’État. » Accusé d’avoir propagé des rumeurs sur le couple présidentiel, taxé de chiraquisme aigu, il n’est plus aujourd’hui qu’un simple administrateur civil hors classe, parfaitement seul. Lui qui, douze années durant, avait régné sur le Tout-Paris…

Dès le début de l’entretien, il a posé sur une table deux grosses chemises cartonnées dont on peut imaginer qu’elles recèlent quelques secrets d’État… C’est que, comme conseiller en charge de la communication auprès du préfet de police, de 1993 à 2005, Gérard Dubois a tout su, tout connu. Aujourd’hui, il a perdu de sa superbe, à l’image de ce tee-shirt élimé que l’on distingue sous sa veste. S’il est placé sur écoute, comme il le pense, ceux qui le surveillent doivent être déçus. Congédié sans autre forme de procès, Gérard Dubois est donc d’abord la victime collatérale d’une guerre interne à la droite dont il n’avait sans doute pas soupçonné la violence.

Il exhume une liasse de feuillets noircis d’une écriture maladroite. « J’avais pensé faire un livre pour raconter ma mésaventure, j’ai commencé, mais j’ai finalement renoncé, je ne suis pas certain que cela intéresse les gens. » Et pourtant…

Les ennuis de Gérard Dubois remontent au printemps 2005, lors du retour triomphal de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, après un passage à Bercy (de mars à novembre 2004), puis six mois où il fut contraint de s’absenter du gouvernement, présidence de l’UMP oblige. L’éviction de Gérard Dubois, figure incontournable de la PP dans l’ombre de Philippe Massoni – préfet de police de Paris de 1993 à 2001 –, fut la première décision du nouveau maître de la place Beauvau. « J’ai payé ma fidélité à Massoni, chiraquien notoire, mais surtout le fait de m’être intéressé à l’“affaire Cécilia”, résume-t-il. Me concernant, Sarkozy a même inventé le “délit de ricanement”, pour reprendre le terme employé publiquement par Claude Guéant, au motif que je me serais moqué de ses difficultés conjugales. C’est pire que Poutine, comme réaction. Son attitude avec moi, ce sont les prémices de son comportement futur, une fois président. »

Des années durant, Gérard Dubois fut, pour les journalistes chargés des affaires de police à Paris, le point de passage obligé, l’homme qui distillait avec mesure et délectation les informations, qu’il s’agisse d’un gros fait divers ou – avec plus de réticence – d’un dossier sensible. Celui, aussi, qui faisait à l’occasion sauter les contraventions. Celui, enfin, qui n’aimait rien tant que commenter les dernières rumeurs agitant le microcosme politico-médiatique parisien. Rien de bien méchant, à vrai dire. Un personnage atypique et attachant, pas toujours pris au sérieux par ses interlocuteurs. Un authentique second rôle au service d’un mentor nommé Philippe Massoni. Ce dernier, chiraquien assumé, quitta la PP en 2001 pour rallier l’Élysée et la présidence du Conseil de sécurité intérieure (CSI). Aux yeux des sarkozystes, Massoni était surtout l’un des membres les plus actifs du « cabinet noir » supposé avoir, autour de Dominique de Villepin, monté des « chantiers » contre les adversaires et rivaux de Jacques Chirac, au premier rang desquels figurait Nicolas Sarkozy…

« Massoni était la bête noire de Sarkozy, son obsession même. Et moi, comme j’avais passé huit ans avec lui, j’étais dans le collimateur. Je le revendique, j’ai servi loyalement Dominique de Villepin lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, comme j’ai servi Massoni. Mais si j’avais dû quelque chose à Chirac, il m’aurait sauvé. Je ne fais pas partie de ce qu’on appelle le clan des chiraquiens », affirme Dubois, qui rapporte ce que Jean-Paul Proust, successeur de Philippe Massoni à la PP, lui avait confié en 2002, au sortir de l’une de ses premières réunions avec Nicolas Sarkozy, place Beauvau. « La nuit dernière, j’ai fait un songe, aurait raconté Sarkozy, j’étais élu président de la République. Ma première décision était de dissoudre le CSI, et exit Massoni ! » Une fois élu, le chef de l’État exauça son rêve : Philippe Massoni fut prié de quitter son poste dès septembre 2007. Désormais à la retraite, ce dernier n’entend pas polémiquer. Il veut couler des jours paisibles, oublier son ancienne vie. Au téléphone, il assure d’une voix mécanique n’avoir « rien à dire sur le sujet », puisque n’ayant « jamais eu de problèmes avec Nicolas Sarkozy, contrairement à ce que rapporte la rumeur », mais on n’est pas obligé de le croire…

Lors de son premier passage place Beauvau, entre 2002 et 2004, Nicolas Sarkozy, de l’aveu même de Gérard Dubois, « ne [lui] cherche pas de noises ». « Il était dans sa bonne période, il travaillait beaucoup, construisant son image de présidentiable. » Les choses se compliquent à partir du début de l’année 2005. Écarté du gouvernement par Jacques Chirac, qui l’a sommé de choisir entre son portefeuille ministériel et la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy vit des moments difficiles. La crise conjugale qu’il traverse commence à nourrir les conversations dans les dîners parisiens. Nicolas Sarkozy soupçonne Dominique de Villepin, qui lui avait succédé à l’Intérieur l’année précédente, de souffler sur les braises. De bonnes âmes lui rapportent que le conseiller en communication du préfet de police n’est pas le dernier à se gargariser, auprès de ses amis journalistes, de son infortune sentimentale… Nicolas Sarkozy est d’autant plus exaspéré qu’il n’a pas réussi à imposer à Jacques Chirac son candidat pour succéder à la PP, en décembre 2004, à Jean-Paul Proust, atteint par la limite d’âge.

« Sarkozy avait promis à Guéant qu’il serait nommé préfet de police de Paris, raconte l’ex-conseiller du préfet Massoni. Il y a eu une lutte féroce pour la succession, on s’est tous dit que Chirac n’allait quand même pas mettre le meilleur affidé de Sarkozy à la tête de la PP, un poste hautement stratégique. Tous les fidèles de Sarkozy, son conseiller Pierre Charon le premier, ont pourtant fait pression sur Chirac pour qu’il nomme Guéant. Je me souviens d’une remise de décoration à Bercy. Sarkozy, alors ministre des Finances, est arrivé très en retard, il revenait de chez Chirac. Quand je l’ai croisé, je lui ai lancé : “Alors, qu’est-ce qu’il a dit pour Claude ?” Il n’a pas répondu. Chirac avait fini par recevoir Guéant, il lui avait proposé le titre de ministre d’État à Monaco, poste qu’il offrit finalement à Proust, à qui il l’avait également promis. Et c’est Pierre Mutz qui a été nommé préfet de police, au nez et à la barbe de Guéant. » Autre élément qui alimente la très mauvaise humeur de Nicolas Sarkozy : l’affaire Clearstream naissante (de faux listings lui attribuent des comptes bancaires en Italie), derrière laquelle il voit encore la main des villepinistes – donc celle de Massoni, bien entendu.

La crise du couple Sarkozy atteint son apogée au printemps 2005, en pleine campagne pour le référendum sur la Constitution européenne, que les Français rejetteront massivement, le 29 mai. Le 22 mai, Nicolas Sarkozy se décommande in extremis alors qu’il était l’invité du journal de 20 heures de TF1, en invoquant un « coup de fatigue ». France Inter se risque à évoquer des « problèmes familiaux », tandis que Brice Hortefeux dénonce une « calomnie ». « Respectez ma famille », répond le président de l’UMP aux journalistes qui le questionnent sur ses éventuelles difficultés conjugales. « C’est quand même curieux : Sarkozy voulait qu’on le laisse tranquille sur sa vie privée alors qu’il n’avait eu de cesse d’en faire l’étalage », persifle Dubois. Au même moment, Cécilia se trouve avec le publicitaire Richard Attias à Pétra, en Jordanie. Le 24 mai, la presse helvétique brise le tabou et parle de la rupture. « Je serai plus tard accusé, à tort, d’avoir informé les journalistes suisses, je m’étais rendu coupable du délit d’intelligence avec l’ennemi ! se souvient Gérard Dubois, qui n’a oublié aucun détail de cette période folle. C’est son conseiller Pierre Charon lui-même qui répandait la rumeur ! À tous les journalistes qui l’appellent, il confirme bien qu’avec Cécilia, c’est la rupture. Mais il menace les journaux s’ils en parlent, et leur vend l’idée que, de toute façon, Cécilia va revenir. La stratégie alors c’est de dire que la plupart des rumeurs concernant Cécilia relèvent de basses manœuvres. Les conseillers de Sarko vont jusqu’à soutenir qu’elle n’a pas été à Pétra, qu’on est en présence d’une nouvelle affaire Markovic, lorsque des ragots scabreux visèrent Mme Pompidou, qu’il y a même des photos de Cécilia nue qui circulent dans les rédactions… L’objectif des proches de Sarkozy est de limiter la casse, en espérant qu’il se réconcilie très vite avec Cécilia. » Le 26 mai, sur France 3, Sarkozy accepte de s’épancher : « Comme des millions de familles, la mienne a connu des difficultés. Ces difficultés, nous sommes en train de les surmonter », déclare-t-il.

« Déjà, depuis quelques mois, Nicolas Sarkozy était parano, se remémore Gérard Dubois. Il se disait sur écoute, et son seul objectif était de renouer avec Cécilia. Il en voulait à Douste-Blazy, qui aurait expédié plein de SMS après avoir vu Cécilia à Pétra. Il accusait aussi Copé d’avoir envoyé des SMS pour se régaler de ses déboires conjugaux. Honnêtement, j’en savais plutôt moins que tous ces gens. Je me rappelle qu’à l’époque, le bruit courait qu’elle était partie avec quelqu’un de Publicis. Et tout le monde en a conclu qu’il s’agissait de Christophe Lambert [alors président de Publicis Conseil], le mari de Marie Sara, la célèbre femme torero. Un jour, Marie Sara, que je connaissais, m’appelle pour un problème de carte de séjour concernant sa nounou, et j’en profite pour lui demander, sur le ton de la plaisanterie, si elle est toujours avec son mari. Elle éclate de rire : c’était une rumeur bidon. »

Bavard, Gérard Dubois révèle : « S’agissant des difficultés entre Cécilia et Sarko, les infos étaient uniquement verbales, les RG se sont bien gardés de faire des rapports écrits. Je peux certifier qu’il n’y a eu aucun “blanc” [note sans en-tête ni signature], même si Mutz a dû s’entretenir verbalement de cela avec le cabinet de Villepin. Il ne faut pas oublier que, quand Cécilia le plaque, Sarko n’est pas à l’Intérieur, ce n’est pas mon ministre de tutelle. Par ailleurs, on n’allait pas non plus se mettre un bandeau sur les yeux et des bouchons dans les oreilles, tout le monde ne parlait que de ça. Et puis, ce n’était pas une rumeur, mais un fait objectif. »

L’échec du référendum va contraindre Jacques Chirac à redistribuer les cartes. Le 2 juin 2005, tandis que Dominique de Villepin vient de s’installer à Matignon, Nicolas Sarkozy retrouve la place Beauvau, avec le titre de ministre d’État.

« Dans son esprit, redevenir ministre de l’Intérieur était une aubaine, relève Gérard Dubois. Pour faire plaisir à Cécilia, qui s’y était beaucoup plu lors de son premier passage, mais surtout pour se protéger, notamment par rapport à Clearstream. Il n’a sans doute jamais été aussi affaibli humainement, et en même temps jamais aussi puissant politiquement, qu’à cette période-là. Je discute à cette époque avec un journaliste de Marianne, qui me dit que Sarkozy en veut à la terre entière, en particulier à la préfecture de police de Paris. Lorsqu’il m’explique cela, j’en ai des frissons dans le dos. Le journaliste tente de me tranquilliser en me disant : “Ce n’est pas au cabinet qu’il en veut, mais aux services, qu’il soupçonne de travailler contre lui, comme les RGPP [les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris] par exemple.” Cela ne m’a pas vraiment rassuré… J’avais compris que Sarkozy était revenu à l’Intérieur pour régler ses comptes. Avant le journaliste, Charon m’avait déjà prévenu : “Si Guéant prend la PP, il virera le cabinet, ce sera la première chose qu’il fera.” Mais comme Mutz avait eu le poste, je pensais, à tort, être protégé… »

À propos de Pierre Mutz, Gérard Dubois rapporte une anecdote : « Il y avait une réception à la PP. C’était au moment de la formation du gouvernement Villepin. Je parle à Mutz du retour éventuel de Sarkozy place Beauvau et, là, Mutz fait carrément un doigt d’honneur ! Il ne l’aimait pas et son geste signifiait qu’il était certain que Chirac ne le renommerait pas à ce poste. Et quelques minutes plus tard, voilà un type des RG qui vient lui chuchoter à l’oreille que Chirac a décidé de nommer Sarko à l’Intérieur ! Il fallait voir sa tête… Ensuite, Mutz, tellement heureux d’échapper à la purge, va en échange offrir ma tête à Sarkozy. »

Nicolas Sarkozy s’installe place Beauvau le vendredi 3 juin 2005. Gérard Dubois s’en souvient comme si c’était hier. « Sa première initiative a été de réunir tous les hauts fonctionnaires pour un discours de bienvenue, réunion au cours de laquelle il a fait ostensiblement la gueule à Mutz. Le soir, à 19 heures, Mutz assiste à la réunion informelle organisée autour du ministre de l’Intérieur, avec notamment les directeurs de la police et de la gendarmerie. À l’issue de la réunion, Guéant, directeur du cabinet de Sarkozy, prend Mutz à part et lui dit : “Tu vas signifier à Gérard Dubois qu’il a quarante-huit heures pour faire ses cartons.” Guéant avait une raison supplémentaire de m’en vouloir : je représentais Massoni, avec qui il s’est toujours senti en concurrence. »

Dès le lendemain matin, le samedi, Mutz convoque Dubois. « J’avais compris. Il me dit, assez gêné : “Gérard, Guéant m’a demandé ta tête, au nom de Sarkozy. Je suis désolé…” Je lui ai demandé les raisons. Il m’a répondu qu’il n’en savait rien. Il n’avait même pas posé la question… Mutz, c’est un militaire de formation, un ancien d’Aspretto [base militaire située à Ajaccio, où s’entraînent notamment les nageurs de combat de la DGSE], un exécutant », soupire Gérard Dubois, qui confesse un regret : « J’aurais dû appeler l’Élysée, Matignon, réagir quoi… Je me suis laissé exécuter comme ça. Bien entendu, Mutz s’est précipité le lundi matin pour appeler l’Agence France-Presse afin d’entériner mon éviction, la rendre irréversible… »

Entre-temps, le samedi soir, Gérard Dubois aura eu l’occasion de s’expliquer directement avec Nicolas Sarkozy, dans un cadre pour le moins inattendu : le Stade de France, théâtre de la finale de la Coupe de France de football entre Auxerre et Sedan. Passionné de foot, l’ancien conseiller de Philippe Massoni est alors membre à la fois de la commission d’organisation de la Coupe et de la Fédération française de football, et, à ce double titre, invité en tribune d’honneur. « Je savais que Chirac n’irait pas, de crainte d’être sifflé, et que Sarkozy, lui, ne manquerait pas l’occasion d’occuper l’espace. J’étais avec ma femme, parmi les dignitaires. À la mi-temps, je profite d’un moment où le ministre n’est pas occupé pour foncer vers lui, bien que mon épouse m’ait dissuadé de le faire, certaine que cela ne servirait à rien. On m’a dit que j’avais été un peu kamikaze. J’étais tendu. » Gérard Dubois restitue le dialogue.

 

« Monsieur le ministre, votre directeur de cabinet a dit que j’avais quarante-huit heures pour faire mes cartons. Je voudrais savoir ce que je vous ai fait.

— Mais vous êtes qui ?

— Gérard Dubois, conseiller du préfet de police.

— Quel préfet de police ?

— Mutz, monsieur le ministre.

— Je verrai avec Guéant, mais en tout état de cause, on ne s’adresse pas comme ça à un ministre d’État. »

 

Le ton du ministre est cassant. La conversation s’arrête là, les gardes du corps deviennent menaçants, l’insolent est prié de déguerpir. L’éviction de Dubois est rendue publique le lundi 6 juin 2005, elle fait du buzz. « Sarkozy veut châtier les auteurs du complot », titre Le Parisien du 7 juin. « J’étais anéanti, reprend Dubois. Comme si j’avais fomenté une conspiration… Encore une fois, cette affaire, ce n’était ni une machination politique, ni un ragot. Que je sache, Cécilia s’est finalement bien mariée, en 2008, avec Richard Attias. »

Ainsi qu’il le dit lui-même, le sous-préfet Dubois, en quelques heures, est devenu « la brebis galeuse, le paria ». D’ailleurs, le banni est déclaré immédiatement persona non grata. Et rien ne lui est épargné. « Je me suis rendu à la PP, deux jours après l’annonce de mon départ, pour passer à mon bureau, et, là, comme au Moyen Âge, les hallebardes des gardes se sont dressées devant moi ! Aussi bien au 7 qu’au 9 boulevard du Palais. On m’a physiquement empêché d’entrer, alors que les gardes me connaissaient. J’ai dû appeler Mutz pour qu’il intervienne. C’était si soudain, si brutal, cette éviction. Là, sur le trottoir, je me suis vraiment senti humilié comme jamais, c’était l’horreur. »

Déshonoré, le sous-préfet Dubois va vivre de sales moments. On ne le prend plus au téléphone, certains de ses amis changent de trottoir lorsqu’ils le voient… « Alain Genestar, lui, a eu des mots très gentils pour moi. D’ailleurs, un peu plus tard, pour avoir publié des photos de Cécilia en une de Paris Match, il sera lui aussi exécuté. » Avec le recul, il estime qu’à travers lui, « c’était un signal envoyé à tous les fonctionnaires. Et le message est passé. Comme j’ai été condamné et fusillé sur la place publique, plus personne n’osait parler de l’affaire. Les gens craignaient même de prononcer le nom de Cécilia ! Il y avait aussi des mouchards dans les dîners. Certains faisaient des rapports pour Sarko. Par exemple, un homme d’affaires intime d’Hortefeux. Je me souviens fort bien qu’après un dîner, ce type avait rédigé une note à l’intention de Sarkozy, j’en ai été témoin ».

Le choc passé, Gérard Dubois va tenter de réagir. « J’ai commencé à réaliser qu’il fallait que je me défende si je ne voulais pas me faire manger tout cru. On sait que la règle, pour les préfets, c’est qu’on peut les révoquer. Mais moi, j’étais un cas à part, puisque à la fois conseiller du préfet et chef du service de communication, nommé par arrêté interministériel signé des ministères des Finances, de l’Intérieur et de Matignon. Donc j’étais protégé par le statut de la fonction publique. Mon arrêté courait encore jusqu’au mois de juin 2006, normalement j’avais encore un an à faire. On ne pouvait pas mettre fin à mes fonctions comme ça. D’autant que j’avais été remis à la disposition du secrétariat général du ministère de l’Intérieur. Tout cela était parfaitement illégal, une “voie de fait” au sens juridique du terme. Avec le recul, ce n’est guère surprenant : Sarkozy, c’est à la fois la violence d’État et le fait du prince. »

Décidé à se battre, le conseiller mis au ban se tourne vers un célèbre avocat parisien. « Malheureusement, j’ignorais qu’il était ami avec Charon. Et, bien sûr, il m’a recommandé de n’intenter aucune action… » Les réserves de l’avocat étaient compréhensibles. Car, au même moment, la réputation de Gérard Dubois est sérieusement égratignée. « On avait dit à mon avocat que j’avais des casseroles, notamment des histoires de trafic de cartes de séjour pour de jolies Russes ! Ahurissant… On a fait courir les pires rumeurs sur mon compte. Ils ont même entrepris mon ancienne secrétaire, qui travaillait alors à la mairie d’Antony avec Patrick Devedjian, pour trouver la trace de contraventions que j’aurais fait sauter… Elle a dû ressortir les mots que je recevais des journalistes. On a voulu lui faire dire que je me faisais inviter à déjeuner en échange d’interventions. Elle avait sa carte UMP, elle était débriefée par le canal UMP et celui de l’Intérieur. J’ai appris que Guéant avait également demandé à Mutz de ressortir toutes mes interventions en espérant tomber sur quelque chose de répréhensible. Mais Mutz a répondu qu’il n’avait rien trouvé d’intéressant. Ils ont dû être déçus… Je n’en revenais pas : même après mon éviction, ils continuaient à m’emmerder, sans doute parce que je résistais. Mais le combat était inégal. Sarkozy, si on n’a pas les moyens de lui résister, il écrase. Sinon, il s’incline, car c’est un trouillard. »

Gérard Dubois va alors choisir un avocat spécialisé dans le droit administratif, afin de contester son éviction devant le Conseil d’État. Nouvelle désillusion. Quelques jours après l’avoir reçu, l’avocat lui annonce qu’un très gros dossier portant sur un marché public européen vient de lui être proposé par la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’Intérieur. Et ce, alors qu’il n’avait jusqu’alors jamais traité le moindre dossier pour ce ministère. Curieuse coïncidence. « Déontologiquement, il y a un conflit d’intérêts », explique l’avocat, embarrassé, à Gérard Dubois. « Évidemment, entre les deux, il a choisi l’affaire proposée par le ministère. Cette proposition est vraiment arrivée providentiellement ! C’est l’astuce qu’ils ont trouvée, et ça a marché. Quand tout l’appareil administratif de l’État se mobilise pour exaucer et même devancer les désirs du prince, c’est à la fois grave et dangereux. J’ai même sollicité plus tard, Me Georges Kiejman, qui défendait Rachida Dati, accusée elle aussi d’avoir colporté des rumeurs sur le couple présidentiel. Mais il n’a pas donné suite. Du coup, j’ai compris et j’ai arrêté les frais. »

S’il ne fait pas bon se heurter à Sarkozy, c’est tout particulièrement dangereux lorsqu’il s’agit de ses affaires de cœur. L’affaire Dati illustre en effet ce jusqu’au-boutisme, celui d’un homme prêt à tout pour éviter la propagation d’indiscrétions portant sur sa vie privée. Ainsi, il va demander en mars 2010 à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le contre-espionnage, dirigé par un homme de confiance, Bernard Squarcini, d’enquêter sur l’origine des pseudo-informations qui courent dans Paris sur ses infortunes conjugales – décidément. La DCRI va alors émettre l’hypothèse d’une implication de l’ex-garde des Sceaux Rachida Dati et de son conseiller en communication, François-David Cravenne. Leurs factures de téléphone sont étudiées et les enquêteurs mettent au jour de nombreux échanges entre eux. Mi-mars, selon L’Express, François-David Cravenne sera « convoqué » dans le bureau du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux et recevra l’ordre de ne plus fréquenter Rachida Dati. Autre conséquence, selon l’hebdomadaire, le 14 mars, l’ex-ministre de la Justice apprend le retrait de sa voiture de fonction et de son garde du corps.

En avril, Squarcini confirmera à Mediapart avoir été chargé de mener cette enquête très privée, déclarant : « J’ai été saisi courant mars par le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, afin d’essayer de déterminer si les rumeurs visant le couple présidentiel ne cachaient pas une éventuelle tentative de déstabilisation. » Pourtant, Carla Bruni, sur Europe 1, avait démenti toute enquête sur le sujet, tandis que Nicolas Sarkozy parlait, lui, d’un « clapotis ». Rachida Dati, au final, s’en sortira plutôt bien. En bonne courtisane, elle a su attendre les vents meilleurs.

Complètement déboussolé, Gérard Dubois va se mettre au vert quelque temps en Sardaigne, juste après sa disgrâce. Puis, pendant près d’un an, restera cloîtré chez lui. Anéanti. « À la fin de mon arrêté ministériel, en juin 2006, j’étais totalement entre leurs mains », résume-t-il. Le jour même, la puce de son téléphone portable est désactivée. Mieux : sa voiture de fonction, garée près de son domicile, est enlevée sans autre forme de procès par un camion du ministère de l’Intérieur ! « On m’a appelé plus tard pour me dire de venir récupérer les affaires qui étaient restées à l’intérieur. » Il se voit alors proposer des postes manifestement sous-dimensionnés. Finalement, il atterrit à Narbonne, comme sous-préfet, où il restera en poste de septembre 2006 à juin 2010. « Mais même là, les brimades, humiliations et autres vexations ont continué, assure-t-il. Par exemple, on ne me laissait pas faire l’intérim du secrétaire général de la préfecture. Le préfet de Narbonne m’a confié après mon départ que Paris lui avait demandé de me surveiller. Et, quelques jours après que j’ai quitté mon poste, j’ai appris que des enquêteurs de l’Inspection générale de l’administration venaient d’arriver à la préfecture pour vérifier mes factures de restaurant ! »

Depuis, l’administrateur civil hors classe Gérard Dubois se morfond au secrétariat général du ministère de l’Intérieur. « J’exécute des tâches administratives, donc je retourne au ministère, mais très loin du pouvoir, dans les arrière-salles ! Autant dire qu’on ne me confie pas les tâches les plus importantes de la République. On m’occupe », ironise-t-il. S’il essaie de faire bonne figure, Gérard Dubois ne cache pas qu’il « conserve encore une plaie » de sa brutale mise au ban. « La cicatrice est indélébile », glisse-t-il tristement, avant de ranger soigneusement ses dossiers. L’examen de ses archives, constituées pour l’essentiel de coupures de presse jaunies, confirme l’impression initiale : on y chercherait vainement la trace d’un document explosif. Que n’est certainement pas cette photographie, fièrement exhibée, sur laquelle Charles Pasqua pose devant ses collaborateurs, place Beauvau, lors de son installation au ministère de l’Intérieur, en mars 1993, au sein du gouvernement Balladur. Il y a là, notamment, le directeur du cabinet du ministre, Philippe Massoni, et le directeur de cabinet adjoint, Claude Guéant, décidément inséparables. Et au second plan, dans l’ombre de… Guéant, on distingue la silhouette de Gérard Dubois. « Cette photo-là, je la garde, parce que je suis sûr qu’ils ont effacé mon visage sur l’original », lance-t-il.

Il ne plaisante même pas.

Sarko M'a Tuer
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